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        Jef ORTIZ, ou La frontière incertaine…

           par François BUSIER-ROUGE

 

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1 / En tout paysage, en toute œuvre, se love une vision du monde, absolue, totale et infinie. De là, émergent, se propagent, se déclinent et se combinent détails et singularités de ce qui est vu et observé, pour laisser transparaître au mieux l'équilibre des formes, comme la sagesse des traits et l'immortalité des jeux de couleurs.

En ses pleins et déliés, par la grâce de mille reflets, de mille intuitions, chaque œuvre, en sa manifestation propre, exprime alors la sublime architecture d'un monde perçu où se gravent, au gré des jours, des regards et des vents, la fugacité d'un réel en voie d'accomplissement, le velouté d'une permanente incandescence.

Ainsi se dévoile une diversité des regards.

 

2 / Et voilà que le monde se transmue peu à peu en une efflorescence d'artefacts surabondants, de points de vue surnuméraires, dont la complexité des chemins qui les relie et les unit fait de chaque pierre, de chaque trace, un nouvel indice pour accéder à d'autres voies encore inconnues des consciences trop ordonnées.

Mais cette immensité sans bornes visibles désoriente souvent le promeneur des sens, d'abord ému, puis troublé par tant d'opportunités de confluence, de croisement, et d'ensemencement, là où la rencontre inattendue porte déjà en elle la plénitude du signe pour en dire intensément la richesse des parcours et des échanges.

Ainsi s'anime un réseau protéiforme.

 

3 / Mais chaque œuvre, chaque représentation, chaque regard, s'enchâsse à son tour en des systèmes de plus en plus vastes, de plus en plus denses, dont les ramifications et les pistes deviennent difficiles à saisir et emprunter, tant l'exubérance de ses affleurements rend délicate, partiale et aléatoire toute hypothèse d'appréciation.

Alors, submergés, tétanisés par tant de magnificence, l'œil comme le cerveau et la raison se fourvoient dans les forêts luxuriantes de l'indécision, là où ne plus pouvoir ni savoir choisir incite à l'abandon de toute velléité de découverte, par lassitude, égarement, épuisement, par rupture, quand le sens devient girouette folle.

Ainsi se déploie une multiplicité des interprétations.

 

4 / Ces récits de perdition ne sont que les mots durs de l'enivrante solitude qui tue les êtres et consume l'invitation à relire les désordres apparents du monde, de ce qui fait frémir, quand domine la pensée lourde et convenue de l'habitude, incapable de déchausser les lunettes de l'idéologie qui impose l'absence au regard.

Mais avec envie, en ses rêves et délices, le promeneur curieux aime à distinguer les différents plans du paysage pour mieux s'y repérer et goûter aux variations de ses nuances subtiles, apprendre les alphabets d'une émotion de l'infini et emplir ses bibliothèques intérieures, par juxtaposition et confrontation des plus improbables créations.

Ainsi s'éveille une géographie du désir.

 

5 / Comprendre les peintures de Jef ORTIZ comme une suite de cartes postales condamne, sans détour, à l'enfermement, car chaque œuvre se lie à toute autre, d'un tout à un autre tout, telle une respiration vive et incessante, comme un déplacement qui oriente et reconstruit le paysage, pour que le monde devienne univers.

Par sa peinture, Jef ORTIZ accoste à toutes les rives et scrute chaque paysage pour en extirper l'illusion de son isolement, de sa séparation. Par ses topologies inconstantes, chaque œuvre annihile son immobilité pour se faire saute-frontières, comme un espace-temps où se mêlent les empreintes d'un commun à celles de l'universel.

Ainsi s'ouvre le fugace à l'éternel.

 

∞ / Heureux l'œil libre qui se meut et s'émeut parmi la présente majesté des signes. Heureux le cœur qui, avec attention, profondeur, sincérité et légèreté, se rend sensible au détail comme à l'immensité des choses et attribue aux ombres du réel l'impalpable souplesse des liens d'une invisible complexité.

Quand tout s'éteint de ne pas être aperçu, connu, regardé et aimé, quand la ténèbre attend le rayon fragile d'une lumière, quand l'apparence approche pourtant les marques et les couleurs de la vérité, c'est alors l'incertitude de la frontière qui, paradoxalement, fait la force et le bonheur du voyageur.

Ainsi s'éclaire la beauté de l'être.

 

 

 

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